Courir un trail c’est activer sa caisse intime de résonance avec le monde — « comme une corde qui se met à vibrer entre nous et le monde». La pratique des courses en sentiers devient en ce sens une réponse stratégique dans un contexte d’accélération, d’optimisation de la modernité. Précisément dans un « monde pris dans un processus d’accélération effréné et d’accroissement illimité pourrait entraver systématiquement la formation de ces rapports de résonance – par la destruction, notamment, des rythmes sociaux – et produire ainsi des relations « muettes » et « aliénées » (des hommes entre eux, mais aussi au monde des choses, à la nature, à l’espace et au temps, à leurs propres expériences vécues, à leurs actions et à leurs besoins et, enfin, à leur propre corps) » (Rosa, 2018, p.64).
RUNNING THE PRESENT
— réponse sportive pour lutter contre la perte de repères et de sens —
Courir longtemps c’est avant tout faire l’expérience d’une plongée radicale, plongée en plein corps. Une plongée radicale dans l’instant. Courir, c’est s’offrir le présent !! Cette expérience offrirait finalement une expérience de résonance pure, un moment intense de »bonheur subjectif ». Par effet cumulatif, sorties après sorties, en développant de nouveaux savoirs perceptifs, en nourrissant une écoute authentique, une relation au monde ouverte et réceptive s’établit peu à peu.
« Les moments intenses de bonheur subjectif se lisent ainsi comme des formes d’expérience de résonance, tandis que le sentiment du malheur survient tout particulièrement lorsque, déjouant nos attentes, le monde se révèle indifférent, voire hostile (répulsif) alors que nous comptions qu’il nous accueille et nous réponde. Mais la vie bonne est plus que la somme des moments de bonheur qu’elle a rendus possibles (ou que la minimisation des expériences de malheur) : elle est le résultat d’une relation au monde caractérisée par l’instauration et le maintien d’axes de résonance stables, grâce auxquels les sujets peuvent se sentir portés et protégés dans un monde accueillant et responsif » (Rosa, 2018, p.68).
Et alors courir, courir pour se nourrir du mouvement et sentir notre propre corps dans l’effort, se sentir vivant et lutter contre cette peur de perte de liens soulignée par Rosa — « l’histoire de la modernité est profondément marquée par l’inquiétude d’une perte insidieuse de la sensibilité à la corporéité de notre existence -inquiétude qui a pu inspirer la pensée phénoménologique d’un Merleau-Ponty par exemple » (Rosa, 2018, p.82).